Harcèlement : quelles complémentarités entre les enquêtes des employeurs et celles des CSE ?

28 Oct 2021

Retour sur la matinée Miroir Social du 24 Septembre 2021
Par Chloé Daviot – Consultante Sextant Expertise

  • Stéphane Roose, Directeur associé d’Impact Etudes (groupe JLO)
  • Sylvain Blondiaux-Douarche, Responsable sécurité chez Orvitis
  • Christine Fourage, Secrétaire générale du syndicat CGT de l’enseignement et de la formation privés
  • Cyril Giraud, délégué syndical CFE-CGC, élu CSE et CSSCT Thales DMS Bordeaux

Quand l’employeur déclenche une enquête interne après une alerte harcèlement, les élus du CSE ont tout intérêt à lancer la leur aussi car les démarches sont avant tout complémentaires. Si l’enquête de la direction vise à déterminer les responsabilités et à recueillir les éléments susceptibles d’asseoir des sanctions et alimenter la justice ; celle du CSE s’inscrit dans une stricte optique de prévention. Dans les deux cas, l’enquête, déléguée ou non à un tiers externe, doit reposer sur une méthodologie sans faille pour respecter la présomption d’innocence et le droit à l’anonymat.

Qu’est-ce que cela sous-entend pour un salarié que de témoigner dans une enquête,
que celle-ci soit lancée par la direction ou le CSE ?
A partir de quand faut-il penser à déléguer ce pouvoir d’enquête pour éviter des confusions fâcheuses sur des dossiers complexes, avec des conséquences individuelles et collectives
?

Stéphane Roose : « Il faut savoir être dans la contradiction. »

Nous souhaitons garantir un savoir méthodologique (INRS notamment) et appuyer sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un rapport de consultant : il y a une délégation d’enquête (= un groupe de travail). Nous souhaitons nous débarrasser du terme enquête qui fait écho à des enquêtes policières ou autre, nous souhaitons également fixer la méthodologie : comment on construit le questionnaire et comment on analyse les résultats. Dans le cadre d’une enquête paritaire, on connait le coupable : c’est l’employeur car il est responsable de la santé et de la sécurité des salariés. Il n’est pas utile de chercher absolument un coupable. En revanche, l’employeur peut chercher des sous-responsables et fixer des sanctions : dans ce cas, il doit se tourner vers ses avocats ; nous, nous ne travaillons pas sur les sanctions. Lorsqu’une personne est mise en cause dans une enquête pour harcèlement par exemple ce n’est jamais noir ou blanc, c’est gris. Il faut donc être dans la contradiction : je respecte la parole de la victime mais je respecte aussi la présomption d’innocence du bourreau. Tout ne peut être qualifié de harcèlement : c’est le juge qui décide. Notre rôle est d’essayer de faire la part des choses entre des faits avérés (témoignages…) et des faits plus vagues : on doit s’affairer à rendre les éléments factuels.

Cyril Giraud : « Faire de la pédagogie pour limiter les cas graves« 

Cas 1 : Une alerte est arrivée à la fin du confinement par 3 salariées qui se sont plaintes à la référente HS. Une enquête conjointe a été menée dont a découlé des éléments factuels : preuves écrites, auditions et témoignages concordants. Le harceleur était venu voir le DS pour l’aider à assurer sa défense donc cet élu s’est retrouvé avec une double casquette : assister dans le cadre du CSE et de la CSSCT les victimes et accompagner le harceleur dans sa défense. Mise à pied à titre conservatoire. Sanction : mobilité professionnelle, pas géographique. La hiérarchie accueillante a été informée du contexte pour être plus attentive aux signaux faibles.

Cas 2 : En 2 jours un salarié a déclaré sa flamme à une collègue qu’il ne connaissait pas de manière très exagérée et insistante. Il la cherchait partout, laissait son numéro de téléphone sur plein de post-it, lui a tenu fortement son bras… La manager de la salariée a appelé le référent HS : l’enquête conjointe a mené à la vérification des caméras de surveillance qui a permis de confirmer les propos de la salariée. Mise à pied à titre conservatoire puis licenciement.

La communication de la direction sur ces deux cas a été insuffisante, les rumeurs se sont propagées ce qui a entrainé un climat social tendu. Nous attendions de la direction qu’elle démontre au travers des sanctions que ce genre de fait n’est pas acceptable dans l’entreprise. On note que la frontière est fine entre la drague et le harcèlement sexuel et cette frontière peut être franchie également dans le temps : drague puis harcèlement. Il faut savoir ce qui est admissible et ce qui ne l’est pas. Idem pour les blagues, c’est via des faits anodins qu’il faut faire de la pédagogie pour limiter les cas graves.

Tout savoir sur les référents (CSE et RH) harcèlement sexuel
et agissements sexistes en téléchargeant la fiche Sextant sur le sujet !

Petit rappel sur le sexisme ordinaire :

  • LES REMARQUES ET BLAGUES SEXISTES : Raconter régulièrement des blagues sexistes à un(e) de ses collègues de travail qui le(a) mettent mal à l’aise.
  • LA POLICE DES CODES SOCIAUX ET DU SEXE : Critiquer une femme parce qu’elle n’est pas « féminine » ou un homme parce qu’il n’est pas « viril ».
  • LES INCIVILITÉS À RAISON DU SEXE : Avoir recours à un langage avilissant, ignorer les demandes légitimes d’un(e) collègue, ne pas donner ou couper la parole d’un(e) collègue, mettre en doute sans raison le jugement d’un(e) salarié(e) sur un sujet qui relève de sa compétence ou encore s’adresser à lui/elle en des termes non professionnels.
  • LA FAUSSE SÉDUCTION : Faire des remarques appuyées sur la tenue ou la coiffure.
  • LE SEXISME BIENVEILLANT : Valoriser une responsable en vantant uniquement des qualités attachées à des stéréotypes de sexe, telles que son sens de l’écoute, sa sensibilité, sa minutie.
  • LES INTERPELLATIONS FAMILIÈRES : S’adresser à une femme en employant des termes tels que « ma petite », « ma mignonne », « ma belle », « ma chérie ».
  • LES CONSIDÉRATIONS SEXISTES SUR LA MATERNITÉ OU LES CHARGES FAMILIALES : Souligner la non-disponibilité d’une salariée en soirée, car elle doit s’occuper de ses enfants.

Sylvain Blondiaux-Douarche : « L’enquête paritaire est une forme de médiation. »

Lors d’une enquête paritaire suite à une altercation entre des salariés avec lien de subordination : un salarié menace de manière répétée sa manager. Je pense que l’enquête paritaire est une forme de médiation car le fait d’externaliser l’enquête permet de faire émerger une délégation d’enquête avec des professionnels, de vulgariser la situation pour aider et accompagner les parties prenantes : direction et CSE, notamment depuis les Ordonnances Macron avec la multiplicité des prérogatives des représentants du personnel. L’enquête paritaire n’a pas vocation à faire émerger les sanctions, ça c’est le rôle de l’employeur. Outre la médiation, il y a également eu une remédiation dans l’équipe c’est-à-dire que les moyens ne concernent plus seulement quelques individus mais plutôt un collectif de travail. Ainsi, les moyens déployés sont énormes : coaching individuel et coaching collectif.

Christine : « Mettre en place une enquête paritaire c’est protéger les victimes en faisant cesser les faits incriminés et en sensibilisant.« 

Utilisation de l’alerte des ex-DP sans recherche de responsabilité. On met en place une enquête paritaire pour protéger les victimes en faisant cesser les faits incriminés et en sensibilisant.

Cas : à l’époque dans un établissement privé catholique, une infirmière a été recrutée. Elle venait du milieu humanitaire et souhaitait accompagner les étudiants dans la gestion de leur sexualité : limiter les rapports à risque, informer sur la contraception etc… Elle a été harcelée car ça allait à l’encontre des valeurs, des mœurs diffusés dans l’établissement. Ils ont mis en place un protocole d’enquête et ont confié les entretiens à l’ARACT car le climat était très tendu. La méthodologie ne s’invente pas : c’est un métier de savoir poser des questions, construire un questionnaire, retirer l’affect…

Débat, questions/réponses

Sylvain : Le rôle de la CSSCT n’est pas le même que le CHSCT : il n’y a qu’une instance aujourd’hui c’est le CSE. Il peut y avoir un rapporteur de la CSSCT au CSE mais pas de secrétaire. La CSSCT ne diligente pas les enquêtes comme pouvait le faire le CHSCT.

Stéphane : Une enquête est un travail minutieux avec beaucoup d’informations. L’intérêt de l’enquête est d’analyser les entretiens pour en faire des éléments les plus objectivables possibles afin de faire émerger des préconisations. La délégation d’enquête doit « mâcher le travail » du CSE ou de la direction : il ne faut retenir que les éléments essentiels pour pouvoir agir.

Cyril : Je suis sensible au fait de ne jamais interroger deux fois une même victime afin qu’elle ne revive pas son traumatisme. Également il ne faut pas hésiter à programmer des CSE extra pour agir vite.

Sylvain : Très souvent, trop souvent on traite du HS lorsqu’il y a un problème. La sensibilisation se fait avant ; pas suite à un problème. Tous les 3 mois, on évoque les préconnisations/recommandations du HS pour limiter l’apparition de cas dans l’entreprise.     

Christine : Face à de tels cas, dans une enquête il ne doit pas y avoir de lien hiérarchique, on doit travailler ensemble.

Stéphane : Il doit y avoir de la pédagogie et c’est fondamental que les PV d’instance fassent écho à ce qu’il se passe pour que les salariés soient au courant de la situation et des mesures prises. Le processus méthodologique est gagnant pour tous : les salariés ont confiance, les employeurs sont rassurés sur les sanctions à prendre, les élus sont cadrés et peuvent agir en conséquence. Il faut avoir un consensus sur la méthodologie, un tiers externe peut aider notamment si un élu, un RH ou un top management est impliqué. Il faut toujours garantir la confidentialité des témoins car sinon ils peuvent refuser de parler. Idem, souvent la victime ou le bourreau est en arrêt maladie lors de la phase d’enquête : il faut trouver le moyen de les entendre que ce soit au travail ou ailleurs. Globalement entre 10 et 15% des personnes refusent de parler, sur conseil de l’avocat ou non. Il est primordial de faire valider la retranscription de l’entretien à la personne interrogée.

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